SERGE GÉRARD SELVON
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19.12.2017

HENRY COOMBES

Thatre de P_L.jpg25075135_938021853015994_2318760914515659748_o.jpgAgglom1.jpgThanatosxx.jpgEros:ovale.jpgfullsizeoutput_c99.jpegPortes:Thanatos.jpgPortes:Thanatos2.jpgIMG_0687.jpgTransports en commun3.jpg23157085_918203091664537_3076207816550055625_o.jpg24059280_928531100631736_4184091672119279967_o.jpg23800051_928048414013338_1938122663925364380_o.jpg23845526_927562570728589_2560457316898395993_o.jpgEnnri Kums, l´épicurien

          Je me rappelle vaguement les travaux de Coombes des années 70. Mais les tableaux de ce passé lointain, que j´avais jadis sommairement commentés dans Le Mauricien, ont définitivement peu en rapport  avec les concepts picturaux articulés avec grande maitrise des cycles de travaux que j´ai pu visionner le 5 avril 2012 dans son atelier à Pointe-aux-Canonniers.
          Je n´ai pas pu suivre son parcours, mais quelques reproductions  dans le livre“Art in Mauritius“ de Hans Ramduth et un article de Dominique Bellier dans“Le Mauricien“révélaient une picturalité singulière et m´ont facilité la compréhension des réseaux d´images qui documentent chronologiquement l´ évolution de son oeuvre.
          Le répertoire de signes, que Henry utilise pour ses oeuvres,  révèle un habitus (comme Bourdieu emploie le terme habitus) urbain  très contemporain. Il interpelle et sollicite les fantasmes refoulées du spectateur en lui proposant un événement parfois  banal (transports en commun, de date récente) mais qui s´avère être un déclencheur de lectures qui exaltent  les pulsions sexuelles comme ultime et absurde signification de la trame existentielle…

          L´ambivalence des signes renvoie à une réflexion de la triade Réel, Symbolique, Imaginaire de Lacan…l´ imaginaire accessible par le symbolique…faut-il associer ce grouillement humain de la série Eros à une représentation symbolique de l´instinct grégaire, à des cellules souches embryonnaires, ou à d´autres principes de la vie? Faut-il y voir la tourmente d´un imaginaire ouvert sur le monde dans le sillon de nos créateurs post-coloniaux qui se distinguent en littérature  …
         Certaines oeuvres ont l´ immediateté des gouaches de Malcolm de Chazal, le premier coup d´oeil, tel le captage visuel d´un pictogramme, révèle tout, pense-t-on. On se contente de l´humour potache des  priapismes archaïques. D’autres tableaux exigent une lecture approfondie. Facile à décoder, jugerait-on d’emblée, pas si sûr, il y a pléthore de lectures possibles… Le caractère déictique du langage pictural rappelle les formules de l´imagerie populaire, du vocabulaire agressif et revendicatif de la subculture, de l´urgence transgressive du graffiti, du graphisme puissamment naturaliste et mythique de l´art pariétal.  Et dans le même souffle pictural prime une lecture qui va droit au but, qui ne nécessite pas une grande connaissance de l´art. Stratégie esthétique qui rappelle celle de certains contemporains, Gilbert & George, Keith Haring, Penck,…
          Les séquences des thèmes abordés font volontairement abstraction de toutes références spatio-temporelles. On cherchera en vain des traces de notre insularité, de notre identité multiculturelle et post-coloniale. Son identité se définit selon d´autres modalités, il le soulignera à maintes reprises au cours de nos longs récents dialogues sur Skype. Sa picturalité s´ oriente vers l´ universel. Il se veut citoyen du monde. 
          L ´accent coloré de ce tableau ovale, qui nous accueillait en pénétrant le séjour, lors de notre visite le 5 avril 2012, ne porte atteinte à l´ innocuité de ce décor intérieur d´ un confort conventionnel, qu´ en faisant l´ effort de décrypter la sexualité récréative du sujet de la peinture… Et ce ne sera qu´une mise en bouche de ce qu´on verra par la suite, dans l´atelier du maître.
                               
                             OEUVRES RÉCENTES
         
          La peinture de Henry continue d´évoluer autour d´un concept esthétique dont la construction est subordonnée à un thème qui apparait dans chacune des séries constituant l´oeuvre. Et le matériau de base de la construction de l´ensemble  est l´énergie des pulsions sexuelles que Freud désigne par la métaphore Libido. Les séquences d´images constituant une sorte de narratif développent des séries parfois homogènes sur le plan formel comme la série intitulé Eros et Thanatos. 
         La série Eros par contre poursuit la facture de Transports en Commun dominée par des conglomérations de taches de couleurs primaires suggérant des événements érotiques et est interrompue en route par des techniques plus complexes - une peinture et un graphisme denses et spontanés s´affranchissant du formalisme précédent  et  explicitant davantage le narratif érotique … 

Dialogue dans l´atelier du plasticien le 5 avril 2012

Serge Gérard Selvon   – Avons-nous une mentalité, une sensibilité insulaire  ?

Henry Coombes  – Oui, nous l´ avons, la mentalité insulaire. Et c´est vrai que, depuis quelque temps, les mauriciens voyagent. Les étudiants vont étudier à l´étranger, et ils reviennent avec une mentalité qui s´est un peu ouverte. Mais le gros de la population a une mentalité insulaire. C´est malheureux, mais c´est comme cela. Et c´est pas tout le monde qui a Internet non plus. Internet peut ouvrir les mentalités. Et je dois dire, que les gens qui retournent de leurs études et tout ça, ils retombent un peu dans leurs vieux démons, malheureusement. 

S.G.S. – Le contexte multiculturel de notre société insulaire a-t-il eu un impact quelconque sur ton travail  ?
    
H.C. - Non, mon travail se situe autre part. Chacun son langage, son histoire. Moi mon histoire, elle parle de sexe, qui est vieux comme le monde. Tout dépend de ça autour de nous,  depuis la nuit des temps. Et…   

S.G.S. - . – On en parlera tout de suite, de ce thème aussi vieux  que le monde, pour reprendre ce que tu viens de dire. Mais j´insiste sur le côté multiculturel, cet aspect laboratoire de la mondialisation, que certains sociologues observent dans notre société  ; le contexte social de ton île natale t´est-il indifférent à ce point ?

H.C. – Oui, mais moi, j´ai sorti ça de ma tête.  Je ne suis plus sous l´emprise britannique ou même française ou quoique ce soit. Je me suis libéré.  Je n´ ai plus de tabous à ce niveau-là. Donc, je suppose que je suis en dehors de Maurice.

S.G.S. –   Pour revenir à cette thématique obsédante qui habite ta peinture, elle est peut-être transgressive à Maurice, mais ne choquerait personne en Europe. La sexualité en tant que thème iconographique, longtemps associée à la pornographie aux siècles précédents, a droit de cité dans les plus grands musées du monde occidental. Les Picasso de la dernière phase de création tombent dans cette catégorie, et les contemporains qui ont exploré ce domaine sont légion. Citons au passage Andy Warhol, Jeff Koons, David Hockney, Francis Bacon, Salomé, etc… Et la liste est très longue.
                Mais voilà, la grande question est de savoir si ta représentation d´une (métro-) sexualité récréative ne risque pas d´être perçu comme une provocation, vu la complexité de notre contexte sociétal et de la pudibonderie ambiante. Ne crains-tu pas de jouer le rôle d´agent provocateur ?

H.C. – En fait non. Il se peut que je provoque, mais ce n´est pas ma démarche première. Ma démarche première est d´en parler, parce que, en fait, je me rends compte que tout autour de nous est basé sur le sexe. Les plantes ont un sexe, les fleurs, les poissons, tout ce qui vit sur terre est basé autour du sexe. Je me rends compte de ça, et je fais l´ éloge de la nature à l´instar des anciens grecs, des anciens romains.

S.G.S. – Ne penses-tu pas que tu fais l´éloge d´un imaginaire libertin, d´une liberté sexuelle symbolique, impossible.

H.C. – C´est vrai que ce n´est pas praticable parce que c´est  tabou …

S.G.S. – mais existant dans la clandestinité peut-être. Cela 
 poserait sans doute un problème pour les concernés, non  ?

H.C. – Pas moi en tout cas  ; je n´ai jamais eu des problèmes de ce coté.… Jamais.

                   Le post-colonialisme

S.G.S.  – Le post-colonialisme, le grand chambardement,  le re-positionnement de tous les pouvoirs et la fin des prérogatives de l´ancienne classe dominante (Tu appartiens à cette classe, non  ?) et l´on pourrait continuer ainsi. Comment as-tu traversé cette ambiance de fin d´époque ? Ton activité artistique en a-t-il porté des traces ? C´était une époque effervescente.  

H.C. -  Oui, tout à fait. Moi, en fait, je me suis reconnu tout de suite en Bérenger. Mais j´ai été très déçu par lui. J´ai laissé pousser ma petite moustache et j´ai toujours mon petit livre de Mao, que j´ai acheté à cette époque, je l´ai toujours. Je me suis positionné en tant que révolutionnaire. Mais tout de suite après, je suis passé en Afrique du Sud. Mais en réalité, je n´avais aucune conscience politique, même si je me disais révolutionnaire.

S.G.S. – La politique politicienne ne t´ intéressait pas outre mesure.

H.C. – Mais ça m´a repris tout de suite, en Afrique du Sud. Je suis parti là-bas, ne sachant pas trop ce que c´était que l´apartheid. Cela fait bizarre, hein. Mais je n´avais que vingt ans, et quand tu as cet âge, tu es protégé dans ta famille, on n´en parle pas trop. Et arrivé là-bas tu es confronté à cela. 

S.G.S. – Mais laissons l´Afrique du Sud et l´apartheid et revenons aux paramètres d´une précédente question. Ici, à Maurice, tu appartiens quand même à une composante de notre société qu´on associe à la classe dirigeante.  Les mauriciens sont très visuels, donc facile à tomber dans le panneau des stéréotypes. Blanc signifie classe dominante, non ? Comme en Afrique du Sud.

H.C. – Non, mais franchement, on ne trouve pas que des blancs dans la classe dominante.

S.G.S. –On ne trouvera pas non plus de blancs parqués dans des hometowns et des bidonvilles. Non, je faisais seulement allusion à un stéréotype de l´époque coloniale, qui perdure. 

H.C. – Il y a beaucoup de membres d´autres communautés qui détiennent beaucoup de pouvoir. 

S.G.S. – Oui, à présent, mais pas pendant l´époque coloniale.

H.C. – Ensuite, tu vois la différence ; c´est que, moi, je suis anglo-mauricien et non pas franco-mauricien. Je suis un Coombes.

S.G.S. – C´est pas écrit sur ton front. 

H.C. –  Ça m´horripile qu ´on me prenne toujours pour un touriste. Ça me fait chier. C´est comme si que je n´ai pas de place ici. Je laisse savoir que je suis mauricien. Et tout de suite on change de ton.

S.G.S. –Je me rappelle vaguement de tes travaux des années 70. Tu avais exposé tes peintures à la Galerie Max Boullé.                   
     Il y avait pendant ces quelques années, comme un vent d´optimisme, qui nous projetait dans l´avenir. Courte Euphorie. Mais le désenchantement ne tarda pas à prendre le dessus… Et arriva le temps des grands départs. Tu es parti en Afrique du sud. D´autres sont parti en France, en Angleterre, en Australie ou au Canada. Je suis reparti en Allemagne. Quelques-uns sont restés au pays.
     Nous avons beau avoir des démarches diverses dans la diaspora ou au pays, mais on a tous comme dénominateur commun : l´héritage post-colonial.
     Or, certains théoriciens de l´art pensent que la décolonisation a eu un impact décisif sur la notion de l´art ; et que le débat post-colonial conteste à raison l´universalisme auto- proclamé de la modernité basée sur une notion hégémonique de l´art. Avons-nous joué dans ce processus un rôle quelconque  ?  Qu´en penses-tu  ?
                  
H.C. – Oui, c´est une bonne chose. Ça nous a libéré aussi. On peut enfin se proclamer du monde, en tant qu´insulaire. Mon travail, je pense qu´il est intemporel, et apatride…
                                            
S.G.S. – Ta thématique est intemporelle, soit, mais ton vocabulaire artistique et tes références picturales sont disparates, éclectiques - fauvisme, BD, art urbain / Graffiti, art tribal, art nègre, Pop Art, sub-culture, etc. ., voilà les pôles d´intérêt , les composantes de ton imaginaire…n´oublions pas Malcolm ! 
              L´intensité de la couleur et un parti pris pour les valeurs chromatiques rappellent le fauvisme.  On se souvient de «  la danse  » de Matisse (1920, Eremitage, Leningrad), dont le sujet est une ronde, un archétype qu´on retrouve à toutes les époques et qui dans un de tes tableaux, se transforme en ronde de personnages priapiques.

H.C. – Oui.  Inconsciemment on subit certaines influences. 
                                     
S.G.S. – C´est tout à fait normal. Délibérément ou inconsciemment on finit toujours par inventer et affiner son répertoire pictural en s´appropriant et en apprivoisant  des éléments de la tradition ou du répertoire contemporain. Il n´y a aucun mal à ça, L´éclectisme dans la recherche formelle n´est justifié que si elle réussit à véhiculer du sens et mettre en valeur une idée. Non  ? 
              
Il y a dans ton travail une convergence de plusieurs modes de représentation. Outre les références aux formalismes de l´art moderne occidental, il y a parfois dans tes œuvres une organisation énumérative d´éléments semblables qui rappelle un peu le procédé narratif de certaines BD. L´humour du graphisme, la simplicité schématique du dessin souligné de traits foncés et le chromatisme élémentaire accentuent davantage cet effet BD. 

H.C. – Pour revenir sur la bande dessinée, il y a là très peu d´influences de la bd dans mon travail. 

S.G.S. – Je pense au principe de la bande dessinée, un dessin au trait et colorié sommairement par à-plat.  Mais ton travail va plus loin que la simple application du principe de cet art populaire. 

H.C. – Quand tu parles de mes à-plats de couleur, ce ne sont pas toujours des à-plats de couleurs. Les plans de couleur sont souvent structurés dans des gammes de nuances. Et les traits qui cernent les formes sont souvent colorés.
           Est-ce que tu retiens la même chose du travail de Malcolm de Chazal ?

S.G.S . – Non. Mais c´est de ton travail qu´il s´agit ici.

H.C. -     Parce que lui aussi, il fait la même chose. Les à-plats et les contours noirs…Et pourtant lui, il n´a pas de connotation de bandes dessinées.

S.G.S. - Tes à-plats, ces grands plans colorés, qui tiennent lieu de toile de fond à l´événement de ce tableau (la ronde?!), sont modulés en zones sombres et zones claires, que l´on pourrait associer à un jeu d´ombre dans la partie rouge du centre, mais ne sont pas subordonnés à une fonction figurative…

Extrait d´une longue conversation en avril 2012.©

Serge Gerard Selvon - 11:11:41 @ KUNST/ ART | Ajouter un commentaire