SERGE GÉRARD SELVON
PLASTICIEN
BLOG

Dernier(s) 5 billets

  • IN MEMORIAM FIROZ
  • SAKILI
  • HARALD SZEEMANN À DÜSSELDORF
  • KHALID NAZROO
  • ÉMILIE CAROSIN

Dernier(s) 5 commentaires

Archives

2019:Juin | Décembre
2018:Février | Mai | Septembre | Octobre
2017:Novembre | Décembre

Catégories

30.11.2017

NALINI TREEBOBHUN ET LA GÉOMÉTRIE DES DIEUX

Forgotten Apsaras.pngBroken Vows.pngCathedral.pngLa Geometrie des Dieux.jpgVisite d´atelier
Et entretiens avec des artistes Mauriciens
Conversations sur des tendances et des scénarios plausibles de la création locale chahutée  dans une situation de tension entre le post-colonialisme, l´insularité, la contemporanéité, la société numérique et la mondialisation. 

NALINI TREEBOBHUN ET LA GÉOMÉTRIE DES DIEUX

Ce grand format de je ne sais plus quel artiste aperçu furtivement lors de la grande exposition ART DÜSSELDORF 2017 ce samedi 18 novembre me propulse tel un blitz cérébral dans l´atelier de Nalini presqu´aux antipodes, à Maurice, l´ile natale. Est-ce la trivialité de l´imagerie populaire de la religiosité hindoue qui semble être le thème de l´oeuvre de ce plasticien anonyme qui ne m´interessait pas outre mesure ou le rappel de l´aura spirituelle qui émane de l´espace de création de notre compatriote?
J´ai encore le vif souvenir de cette interview quelle m´accorde , il y a déjà 5 ans, chez elle à Quatre Bornes. 
On est d´abord accueilli par un gros, méchant chien que la maîtresse s´empresse d´apaiser avec de gros câlins, et nous voila dans un grand espace multi-fonctionnel, à la fois salon, bureau, atelier, bar/cuisine, s´ouvrant sur une varangue ouverte entourant la pièce. Un mobilier indien et quelques plantes rares autour de la véranda agrémentent le séjour et invitent à la nonchalance. Les grands formats s´intègrent étrangement dans ce sobre décor tropical. Des motifs de tissus et d´autres menu objets dialoguent avec des éléments de tableaux, de telle sorte que l´oeuvre de la plasticienne ne s´impose jamais avec insistance à l´attention du visiteur, mais se réserve une possible contemplation esthétique, au détour d´une conversation, peut-être, ou à d´autres interventions du hasard… 
À l´intérieur, Nalini semble avoir porté le plus grand soin à disposer les différents formats dans une ordonnance en rapport avec le rythme des passages dans l´espace de création. Le grand tableau au dessus d´un divan, un peu à contre-jour, ne dévoile pas tout de suite tous les secrets de sa facture. La lecture de l´oeuvre se mérite…

Extrait d’un long dialogue…

Serge Gérard Selvon - Pourquoi peignez-vous? Quelle est votre motivation?
Nalini Treebobhun - Ça, c´est la question piège. Parce que vraiment … pourquoi je peins… Je ne me suis jamais posé la question. Autant que je me souvienne, j´ai toujours peint. Pour moi, c´est un besoin fondamental. Que ce soit la peinture ou autre chose que je crée de mes mains, il faut toujours que je m´exprime.

S.G.S. – Vous êtes représenté dans l´ouvrage de H. Ramduth avec dix reproductions qui révèlent une diversité d´expérimentations formelles. Et là, dans votre atelier, je découvre encore d´autres aspects inédits de vos recherches esthétiques. Vous employez une grande variété de techniques. Vous abandonnez parfois la figuration pour explorer les limites de l´abstraction. Mais vous n´abandonnez jamais les références à la réalité. Cette référence est parfois très réduite. Mais il y a toujours quelques signes pour rendre intelligible des principes de la réalité visible..

N.T. - Oui, en effet, des travaux de différentes périodes de travail figurent dans ce livre, et documentent ainsi une diversité d´approches. Le choix de Hans est un peu arbitraire. Mais il y a, malgré cela, une idée conductrice dans mes recherches formelles.

S.G.S. - Vous privilégiez des compositions stables où la répartition des surfaces colorées s´opère sur le rythme horizontal ou vertical. Les lignes de composition représentent parfois un genre de filet, qui retient tous les éléments de l´oeuvre dans l´espace pictural.

N.T. - Comme La Cathédrale d´Eau .

S.G.S. - Le diptyque, « Cathédrale d´eau », est déterminé par une composition géométrique qui suggère des éléments d´une structure architectonique, mettant en rapport un espace fermé et un espace extérieur indéfini. Ce rapport intérieur-extérieur n´est pleinement perceptible qu´en juxtaposant les deux volets, totalement autonomes, du diptyque. Est-ce que je peux continuer ma lecture de cet oeuvre? Ce diptyque m´a d´emblée interpellé, quand je l´ai vu dans le livre.

N.T. - Oui !

S.G.S. - Ce contraste entre espace sombre d´introspection et espace éclairé d´ouverture est déjà déchiffrable avant même d´avoir lu le titre du diptyque. Mais les mots : „cathédrale“ et „eau“, ont vite fait de livrer de nouvelles couches de significations. On associe symboliquement les formes épurées à l´architecture sacrée, le bleu de ce contexte cosmique à la couleur attribuée aux divinités hindoues… Mais ce bleu a aussi un caractère indiciel, nous signalisant les éléments qui nous entourent - notre ciel austral, notre océan indien - et nous voilà embarqué dans des réflexions sur notre insularité identitaire… Mais les formes épurées n´évoquent-elles pas aussi bateau, ou oiseau avec les ailes déployées. Bref, ce diptyque nous rappelle notre insularité et la dualité de cette condition. Que pensez-vous de notre insularité ? ( A blessing or a curse? A blessing in disguise?)

N.T. - A blessing in disguise! Définitivement, je pense. Parce que on en souffre. Surtout qu´on n´a pas la possibilité de bouger. C´est très important de pouvoir voir ce qu´on fait ailleurs. Mais en même temps je me sens bien ici, chez moi. Mais à un certain moment, si je n´ai pas bougé pendant, disons un an, c´est trop.

S.G.S. - Mais vous avez quand même cette possibilité de voir ce qui se passe ailleurs. Mais de nos jours, avec les moyens de communication des nouvelles technologies, on a déjà éliminé toutes les frontières culturelles, non?

N.T. - C-à-d que l´insularité s´est un peu amoindrie, dans ce sens qu´on peux facilement communiquer avec le reste du monde, mais ça ne remplacera jamais le contact direct, le contact humain…

S.G.S. - Oui, ça ne remplacera pas la présence et la participation physique à l´évènement, avec tous ses sens… Ne pouvoir visionner un tableau, ou une sculpture que sur l´écran de son ordinateur est une alternative assez frustrante. La réception de l´oeuvre est faussée par le médium de transmission, non?

N.T. - De toutes manières tout sera dorénavant de plus en plus faussée. Pour moi, que ce soit les rapports entre les gens, que ce soit le rapport à l´art, ça va être de plus en plus altéré.

S.G.S. - Est-ce que vous parvenez à vous adapter à tous ces changements qui nous guettent? L´art peut-il être un vecteur de conditionnement, ou un moyen de questionnement de ces mutations de nos comportements culturels? Nous avons pas mal de plasticiens dans l´île, qui ont accès aux bienfaits de la fine pointe de toutes les technologies, mais qui sont, dans leurs oeuvres du moins, encore fixé dans une sensibilité du siècle dernier. Comment expliquez-vous ce phénomène?

N.T. - Je pense que c´est surtout la peur de se remettre en question. Je crois que ça vient surtout de ça. Ensuite c´est un peu le refus de renoncer à ses privilèges culturels.

S.G.S. - C´est le problème de ceux qui n´ont pas encore réalisé que le concept de l´art a totalement changé depuis la grande période des décolonisations. C´est le problème de ceux qui se complaisent dans un passé révolu, au lieu de se projeter dans l´avenir. Qu´est-ce que vous en pensez?

N.T. -Je suis tout à fait de votre avis. Je trouve qu´on a toujours tort de ne pas se remettre en question…

S.G.S. - L´art moderne qui prévalait vers la fin de notre ère coloniale est un concept occidental. Là on est tous d´accord? Les nouveaux décolonisés ailleurs ont vite fait de contester l´universalisme auto-proclamé de ce concept. Est-ce qu´il y a eu, à votre connaissance, dans ces années, juste après l´indépendance, un tel courant d´idées revendicatives dans les arts visuels chez nous ?

N.T. - En effet, pendant assez longtemps on a conservé ce modèle colonial, parce que c´était le modèle culturel de l´élite, on avait pas d´autres alternatives, on avait peu de contacts avec ailleurs, et dans l´esprit de beaucoup - car nous étions plus ou moins acculturés - l´art était l´apanage de l´élite.Et il n´y avait aucune réflexion dans ce domaine.

S.G.S. - Mais à présent, il y a une réflexion, assez tardive peut-être, sur tous ces points que les études post-coloniales ont soulevés.

N.T. - Assez tardives, bien tardives en effet…

S.G.S. - Mais avec la jeune génération, on est sur la bonne voie, me semble-t-il. Car ils sont légion à s´impliquer dans le grand débat d´idées de l´art contemporain. Ils brûlent les étapes et réparent, en quelque sortes, la passivité de la génération précédente .

N.T. - Oui, les plasticiens du moment sont très engagés dans les tendances contemporaines…

S.G.S. - Quels sont vos rapports avec la situation de l´art à Maurice ?

N.T. - Ca a changé, je vais vous dire comment. On a eu peut-être plus d´ouverture dans le sens médiatique. Les gens en parlent beaucoup plus. On s´est fait une petite place. Mais malgré cela pas assez importante. On nous aborde toujours pour placer nos oeuvres quelque part, à l´occasion d´évènement quelconque, mais en tant que décor.

S.G.S. - Et ne respectant pas la signification de l´oeuvre… Mais n´avez vous pas aussi peur, que vos intentions esthétiques soient détournées de leurs objectifs?

N.T. - Voilà, on doit apprendre à dire non.

S.G.S. - L´oeuvre de Hurry exposée dans des cadres inappropriés pourrait facilement être perçue comme de la décoration; c´est le danger. Il y a des objets qui ne fonctionnent que dans un genre de contexte.

N.T. - On doit attacher beaucoup d´importance à cela.

S.G.S. - Le problème à Maurice, c´est qu´on n´a pas encore songé á institutionnaliser les échanges entre l´art et la société. Pas de Musée, pas de collection nationale, rien … Donc, c´est très difficile, presque impossible d´abriter ce genre de travaux… de les présenter comme vecteur de l´identité nationale

N.T. - Voilà , on attend que le ministère des Arts et de la culture fasse enfin le travail. Et puis, il faut savoir comment le faire, aussi.

S.G.S. - L ´identité est aussi une thématique qui vous interpelle. Beaucoup d´auteurs mauriciens (N. Appanah, A. Devi, B. Pyamoutou…) semblent utiliser avec beaucoup de talent des idées formulées par des théoriciens de l´interculturel (Torabully,Asgarally) comme outil conceptuel de leurs œuvres et jouissent d´une certaine notoriété internationale. Cette thématique intéresse aussi quelques plasticiens. Leurs investigations et leur traitement du sujet n´ont pas encore valu une résonance dans le monde de l´art. Pourquoi, à votre avis? Et pourtant notre identité est passionnant comme sujet de travail.

N.T. - Il y en a beaucoup dans les arts visuels qui s´intéressent à cette problématique.

S.G.S. - Mais pourquoi ce travail n´est-il pas reconnu ailleurs?

N.T. - Je crois qu´on a pas assez de soutien. On a pas d´infrastructures. On a des possibilités de triennales en Inde, de Biennales à droite et à gauche, et on participe avec deux ou trois oeuvres et c´est tout…

S.G.S. - Mais il y a des pays qui ont moins de moyens que nous qui se débrouillent pas mal. Prenons cuba ou Haïti. Vous avez vu le concept de Haïti à la Biennale de Dakar? C´est ce qui nous manquent, des concepts!

N.T. - Je vais vous dire une chose; si vous restez plus longtemps ici vous allez voir. C´est que il y a tellement de tensions à tous les niveaux. C´est extrêmement difficile d´élaborer un concept quelconque et trouver l´approbation de toutes les composantes de notre diversité. Les critères de qualité n´ont aucune validité quand on est à couteaux tirés sur des impératifs de représentativité.

S.G.S. - En fin de compte, c´est presque toujours les arguments pour un genre de quota qui priment et le résultat est la médiocrité et le marasme culturel qui nous caractérise… Je comprend pourquoi on est venu me chercher. J´ai beaucoup de distance par rapport à ce qui se passe ici. Je me refuse à faire le jeu de ces clivages idéologiques et partisans.

N.T. - Il faut avoir de la distance par rapport à tout ca. C´est très important. Moi, je ne peux pas m´intégrer dans ce système. C´est la raison pour laquelle je préfère rester à l´écart, et évite un tas de choses. Et si vous parlez avec Hans, vous verrez; on en a discuté souvent, de projets d´expo, avec de vrais concepts.

S.G.S. - Je crois que la solution à ce problème consisterait sans doute à concevoir une méthode de travail pour contrer ce parasitage de la créativité par les particularismes ethno-culturels. Avoir un comité de sélection très stricte et un concept, qui dans sa formulation livre déjà des critères de qualité, qui faciliterait une sélection, sans heurter des sensibilités particularistes… C´est peut-être réalisable, non? Sans filtrage, la porte est toujours grande ouverte à la médiocrité!

Conversation devant l´oeuvre.

Le thème de la disparition

N.T. - Ces tableaux représentent des temples, des temples qui vont disparaitre avec le temps. Ce sont les signes d´une civilisation en train de s´évaporer…

S.G.S. - Donc, c´est une métaphore de la disparition; une partie du patrimoine universel dans un lent processus de disparition.

N.T. - Ça, c´est „Forgotten Apsaras“. À cette époque, j´étais à Delhi à étudier la sculpture, etc, Les Apsaras sont des déesses qui dansent dans les temples, donc, „Forgotten Apsaras“, on les oublient, c´est terminé. C´est un peu par rapport à ça que j´ai fait la série des „Temples“…

Ici, c´est la géométrie des dieux. Des choses condamnées à disparaitre aussi. J´ai travaillé par rapport aux géométries qu´on a dans la religion hindoue, où au début on mettait ces tikkas sur des formes, comme des cailloux, et c´était des objets de culte, on priait, c´était une géométrie qui appartenait aux dieux. Et la, j´ai pris des „computer chips“, la géométrie des dieux, maintenant, c´est ça. Ça, c´est d´un monde à l´autre. C´est un passage de la terre à l´au-delà. Je l´ai conçu quand j´ai perdu ma mère.

S.G.S. - C´est une réflexion sur le sens de la vie.

Ah, ça rappelle beaucoup Paul Klee; mais lui, il appartient déjà à l´inconscient collectif de tous les plasticiens du siècle.

N.T. - Je n´ai jamais pensé à l´intérioriser, pour le sortir après dans mon travail… Toute cette série de travaux, ici, que vous voyez là, évolue autour de la thématique de la disparition…
Serge Selvon.30.11.2017.©

Serge Gerard Selvon - 10:13:44 | Ajouter un commentaire

Ajouter commentaire

Remplissez le formulaire ci-dessous pour ajouter vos propres commentaires

Um automatisierten Spam zu reduzieren, ist diese Funktion mit einem Captcha geschützt.

Dazu müssen Inhalte des Drittanbieters Google geladen und Cookies gespeichert werden.