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17.06.2019
SAKILI
SAKILI, PORTE-VOIX IDENTITAIRE DE RODRIGUES ET DE LA CRÉOLITÉ DES ILES DE L`OCÉAN INDIEN
Il fait très chaud ce mercredi 5 juin à Dusseldorf. C’est à croire que SAKILI aurait fait le long voyage intercontinental avec ces hirondelles qu’on voyait dans le ciel bleu de Dusseldorf-Bilk ce jour là et nous apportait le beaux temps en prime. Fraîchement débarqués d’une “île-point”, terme qu’emploie notre poétesse Jeanne Gerval-Arouff pour ennoblir la petitesse de nos îles dispersées dans l’immensité de l’océan indien, le trio rodriguais affronte avec brio la première européenne à Dusseldorf, chef-lieu de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, ma ville d’adoption depuis un demi siècle. L’auditoire de la Jazzschmiede, la plus grande salle de concert de jazz de la région, est d’emblée conquise par la singularité et l’exubérance d’une musique qui impose la marque identitaire. Le public de la Jazzschmiede accoutumé à l’authenticité de ce qu’on classifie sommairement musique du monde a peut-être eu du fil à retordre à localiser Rodrigues sur Google Earth et à imaginer sur cette “île-point” des antipodes un peuple dépositaire d’une culture musicale d’une telle originalité. Mais il comprend très vite au cours de l’événement du concert pourquoi Le Séga Tambour de Rodrigues a été ajouté en 2017 par l’UNESCO aux listes du patrimoine culturel immatériel de l’humanité …
La tournée organisée par Percy Yip Tong présente SAKILI dans onze grandes villes rhénanes, faisant un saut outre-rhin à Bruxelles et à Nijmegen en Hollande…
J’ai eu le privilège de rencontrer nos quatres protagonistes tout à fait par hasard une heure avant leur première représentation à la Jazzschmiede qui se trouve à une encablure de mon domicile à Dusseldorf-Bilk… Les 3 musiciens : Vallen Pierre-Louis, Ricardo Legentil, et Francis Prosper prenaient le frais sur les marches du bâtiment jouxtant la salle de concert, Percy se joindra ensuite au groupe et c’était l’occasion rêvée pour moi de prendre des photos et de faire ample connaissance avec les compatriotes. Il s’avéra vite qu’ils connaissent tous les Rodriguais rencontrés pendant mes derniers séjours en2012 et en 2018 dans l’île. Comme de bien entendu! Ils connaissent aussi les trois plasticiens rodriguais que j’ai interviewés à deux reprises pour les besoins de l’ouvrage de référence sur l’art contemporain de notre peuple et qui prend de la poussière dans les tiroirs du ministère de la culture à Port-Louis. Quel gâchis !
Avec l’engagement de Percy, qui, sans réel soutien du ministère de la culture, galère pour valoriser outre-mer le patrimoine immatériel de Rodrigues reconnu par l’UNESCO, on se demande s’il n’est pas grand temps pour les arts plastiques de procéder de la même façon, de créer dans le secteur privé les infrastructures de sa propre promotion et de renoncer une fois pour toutes à l’appui d’un lourd fonctionnariat ministériel plus soucieux du culte que de la culture…problématique trop complexe pour être abordée ici…
La culture rodriguaise peut s’enorgueillir d’avoir su préserver l’authenticité d’un héritage que l’UNESCO reconnaît à juste titre comme patrimoine immatériel de l’humanité. Les vestiges d’une telle tradition à Maurice, encore perceptibles jadis, du temps de P’tit Frère, périclitent hélas, phagocytés par la modernité. SAKILI, comme pour rappeler cette perte, rend un vibrant hommage à P’tit Frère en interprétant sur la scène de la Jazzschmiede une excellente version de PAPIDOU, séga emblématique d’un temps révolu… La réflexion sur cet HERITAGE bafoué, occulté, minoré engendrera peut-être un jour le socle d’un nouveau souffle culturel et inspirera les arts plastiques… Le film réalisé par Pierre Argo paru sur YouTube et inclu dans un profil de Sakili publié en Allemagne dans Klangkosmos , Musik der Welt nous rappelle toute la signification de ce phénomène culturel.
http://www.klangkosmos-nrw.de/detailsprofil_58152.html
Le trio Sakili vit dans un quartier calme de la capitale, nous apprend le texte explicatif de KLANGKOSMOS. Vallen Pierre Louis est un banjoïste connu et respecté à Rodrigues. Prosper appartient à l’ un des principaux clans de musiciens de l’île. Il est incontestablement le meilleur percussionniste traditionnel de Rodrigues. Il est aussi la voix puissante avec un timbre qui caractérise Sakili. Le troisième membre, Ricardo Legentil joue de l’instrument de mélodie emblématique de l’île, l’accordéon. Le répertoire et les subtilités de la technique de jeu s’hérite dans la famille de père en fils depuis plusieurs générations La musique de Sakili documente en quelque sorte l’histoire (culturelle et psychique) de l’île chahutée entre les influences européennes et africaines : valse, polka, mazurka, et des airs écossais se mélangent harmonieusement avec les rythmes de Sega et le tambour traditionnel des esclaves africains d’antan.
La mondialisation suit son cours dans les confins de l’océan Indien et efface les traces, mais cette musique résiste , elle est un narratif imaginaire de rencontres culturelles de l’histoire coloniale de Rodrigues…et par extension, des Mascareignes. ©
Serge Gérard Selvon
Plasticien, théoricien de l’art
40217Dusseldorf, Allemagne
https://www.sergeselvon.de
Serge Gerard Selvon - 11:24:34 | Ajouter un commentaire
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