SERGE GÉRARD SELVON
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07.12.2017

LA CRITIQUE CONTEMPORAINE

 La critique contemporaine

Est-il envisageable de maintenir l ́exigence
baudelairienne d ́une critique qui,“pour être
juste“ doit être“partiale, passionnée, politique“? Jean-Marc-Lachaud.“Pour une critique partisane“

Les nouveaux chroniqueurs d ́art de l ́île ont au moins la prudence d ́éviter le ton péremptoire des L. Masson, des de Sornay et des Decotter du passé. Certains sont très conscients de leur rôle de médiateur entre l ́artiste et le public. Ils tentent (avec les moyens du bord) la toute première exégèse qui permet de situer le créateur. Toujours est-il que la critique d ́art, telle qu ́on l ́aurait souhaité, n ́existe toujours pas chez nous. Ne disposant pas du cadre traditionnel et de l’infrastructure indispensable pour la viabilité et l’épanouissement d’un discours appréhendant et problématisant nos arts plastiques, ceux qui écrivent sur les expos croient escamoter ce déficit en cédant au mimétisme subalterne habituel (Gayatri Chakravorty Spivak- „Can the subalterne speak?). Au lieu de s’émanciper et tenter une simple et honnête lecture de ce qu ́ils perçoivent visuellement et de s ́en servir pour une investigation de l
  ́oeuvre et de ses paramètres, ils se soumettent à la taxinomie du centre (le lointain occident). Le jugement à partir de critères en accord avec notre contexte est pourtant une simple question de logique ; nul besoin de théorie académique pour cela. Il suffit de penser devant l ́oeuvre, de dialoguer avec la création, de questionner ce qu ́on a vu, ou ce qu ́on pense avoir vu, développant ainsi une conscience critique, une impulsion basique à justifier ses réactions devant l  ́oeuvre. On se contenterait bien de ce principe d ́immanence, à défaut de modes d ́interprétations théoriques en adéquation avec les courants d ́idées du moment. Mais, voilà, nous n ́avons toujours pas de critiques à notre mesure. Le pauvre journaliste à qui incombe parfois, à son corps défendant, cette fonction de juge militant qui doit réagir à chaud, ne dispose pas d ́outils conceptuels appropriés pour situer le travail de l ́artiste. Sans musées et sans historiographie, il n ́a aucun moyen d ́établir des jugements comparatifs. Le produit culturel mauricien n ́étant, hélas, pas inscrit dans l ́historicité.
Vient s ́ajouter à cela un problème fondamental. Une aisance à se confronter avec la création présuppose une initiation en amont, une connaissance approfondie qui s ́acquiert par l ́apprentissage et la pratique. Or, la vétusté du système post colonial ne semble pas favoriser l ́épanouissement d ́une telle compétence. L ́incapacité de certains chroniqueurs à interpréter de simples codes picturaux, et à appréhender des intentions plastiques évidentes reflète les défaillances de l ́enseignement culturel. Est-ce la faute à l ́orientation utilitariste de notre système d ́éducation ? Est-ce Le désintéressement muséographique de notre peuple, doublé des méconnaissances historiographiques dans le domaine de l ́art ? C ́est tellement facile à désigner des coupables ! Mais trouver le bouc émissaire ne masque-t-il pas souvent l ́incapacité d’autocritique ?
Si l ́on déplore chez nous l ́absence de la figure traditionnelle et romanesque du critique érudit/passionné/iconoclaste qui analyse/spécule/ interprète/juge/défend/condamne et provoque le débat et la controverse de façon violente ou passionnée - à (inter)rompre notre somnolence post-coloniale - , ailleurs, en Europe et outre-atlantique, la corporation jadis bien installée de la critique traditionnelle périclite et sombre dans l ́insignifiance. Si la critique d ́art professionnelle, la noble critique, modèle déchu d ́un âge d ́or révolu , jadis publiée dans la presse écrite traditionnelle (journaux, magazines, livres), était relativement indépendante, elle l ́est moins aujourd ́hui dans son affiliation aux campagnes promotionnelles des grands événements de l ́art : brochures d ́expo, catalogues, site web, art blogs, et autres plateformes en ligne qui assurent pourtant un vaste auditoire. Le marché de l ́art étant devenu un marché publicitaire, la fonction critique de la critique d ́art disparait avec la commercialisation des signes, affirme Virilio dans le catalogue du Documenta10. Le personnage du critique d ́art s ́estompe, voire disparait pour faire place nette aux théoriciens qui tiennent désormais le haut du pavé.
Clement Greenberg, Harold Rosenberg, Leo Steinberg, tous ces critiques du modernisme américain ont certes révolutionné la critique d ́art du 20ème siècle et introduit des concepts inédits et des approches originales dans l  ́analyse critique de l ́avant-garde mais la prégnance de leurs idées se situe surtout au niveau de leurs écrits théoriques (s ́il faut faire une distinction entre la critique journalière et erratique dans les revues d ́art et la discipline plus aboutie de l ́essai théorique). Les ouvrages canoniques de Greenberg dominent le discours sur la nouveauté et la cohérence de l ́avant-garde et abondent de concepts-clé inédits :”allover“,”easel picture”,”pictorial flatness“,”optical space” etc.., toute une terminologie qui assure désormais l’extension de l’outillage conceptuel de la théorie de l ́art. L’excellence et l’impact de son analyse comparative du bouillonnement de la scène artistique new yorkaise des années (1939/1960)(expressionnisme abstrait, Jackson Pollock, …) par rapport à l’art européen contribuera à édifier la suprématie d’un art américain qui détrônera Paris comme centre de gravité de l’art mondial.
L’ approche analytique de Greenberg du modernisme a un degré de rigueur encore inédite dans la critique d’art, quoique élitiste et dogmatique à certains égards. Elle sera mise en cause par la nouvelle génération pop et neo- dada imbue de l’esprit de totale rupture décrétée par Duchamp. La distinction entre “High Art and Kitsch”, doxa de Greenberg, est désormais nul et non avenu. Déferlante de kitsch dans le marché de l’art. Le kitsch brouille les pistes et prépare la voie aux superstars du contemporain, Jeff Koons et co. L’action painting et l’actionnisme dada annoncent la pluralité des expérimentations performatives et la démarche conceptuelle … passage de la modernité à la post modernité, pense-t- on, ou c ́est l ́inverse…
Thierry de Duve nous rappelle la formule heureuse par laquelle Jean- Francois Lyotard…régla son compte à la question`postmoderne ́en art: “Une oeuvre ne peut devenir moderne que si elle est d ́abord postmoderne”.(*Thierry de Duve - Au Nom de L ́Art - Les éditions de minuit). Pour expliciter le paradoxe Thierry de Duve propose une re-formulation avec la répétition d’un qualificatif sous-entendu: “Une oeuvre (moderne1) ne peut devenir (moderne2) que si elle est d ́abord postmoderne“; (moderne2) exprime ainsi un jugement, et (moderne1) périodise ; et le préfixe“post“ ne décrète-t-il pas un après de la modernité? C ́est un performatif paradoxal, il dit ce qu ́il fait mais fait le contraire de ce qu ́il dit (Thierry le Duve). Cette hantise de la périodisation et l ́équivoque sur le repérage chronologique de la modernité sont des caractéristiques de l’art contemporain…
“L ́art contemporain” ayant “un contenu théorique particulier qui le situe en rupture avec “l ́art moderne” en refusant la démarche esthétique pour adopter la démarche conceptuelle”( comme le constate Aude de Kerros ), devient le domaine spéculatif de recherches interdisciplinaires. Le champ élargi de l ́art actuel interpelle les intellectuels de tout poil . Les installations, les environnements, les happenings, les actions, les earthworks, l’art vidéo, l’art corporel et bien d’autres catégories aujourd’hui répertoriées ont contribué à cet élargissement. Linguistes, philosophes, anthropologues, sociologues, psychologues, sémiologues, en sus des sempiternels experts du métier, commentent exhaustivement dans des écrits théoriques le parti-pris conceptuel de la création contemporaine.
Cette inflation de textes reflétant des jugements majoritairement assertifs, suscite d ́emblée la riposte des dissidents. Ils contestent, à juste titre d ́ailleurs, la partialité de la présentation médiatique, historique, sociologique, philosophique qui se fait de l ́art actuel. Le grand public, désarçonné par la surenchère des transgressions à répétition du postmodernisme contemporain et de sa reconnaissance officielle soldée par des subventions, se désolidarise, et rejette l  ́art contemporain. Face à ce phénomène de rejet, le milieu de l ́art (marchands, institutions, collectionneurs, critiques ) devient du coup la marotte des sociologues et le champ d ́investigation des sciences humaines, mais aussi la cible d ́invectives et de sarcasmes fusant tous-azimut.
Nathalie Heinich, sociologue, et directrice de recherche au CHRS, passe en revue dans moult ouvrages, toutes les incongruités qui déchainent les passions entre les défenseurs et les détracteurs de l ́art contemporain. Elle analyse “l ́englobant”, ce contexte social et historique en dehors duquel l ́oeuvre de l ́art contemporain n ́a aucune raison d ́être… et paradoxalement, donne à la démarche conceptuelle une part de légitimité. Les sociologues sont peut-être les plus assidus dans le décryptage du glissement de paradigme, du passage de la modernité à la post-modernité, de la rupture opérée par le conceptualisme…
Mais les philosophes ne sont pas en reste. Ils sont légion à céder au pouvoir de séduction de l ́art émergent. Les arts plastiques en cours de consécration par le milieu de l ́art fournissent le dispositif idéal permettant à des philosophes (post-modernes) de la“french theory“ d ́appréhender les problématiques-phares de la fracture art moderne - art contemporain.
Dans ses nombreux “écrits sur l ́art contemporain et les artistes”, la réflexion de Jean-Francois Lyotard s ́est portée surtout sur ces plasticiens qui problématisent des thèmes de la rupture, soit la relation figure-fond et la maitrise conceptuelle de l ́artiste en tant qu ́auteur : Kandinski, Sam Francis, Daniel Buren, Marcel Duchamp, Barnett Neumann, pour n ́en citer que quelques-uns. Quelques titres d ́ouvrages en disent long : “L ́Assassinat de l ́Expérience Par La Peinture - Monory“ , “Sam Francis - Leçon de Ténèbres“, “Les Transformateurs de Duchamp“, “Que Peindre ?: Adami, Arakawa, Buren“…
L ́esthétique de la disparition” de Paul Virilio est désormais une référence incontournable de la théorie de l ́art grâce à la trame spéculative abordée dans l ́ouvrage. En préambule à Documenta10, dont elle a été désignée commissaire, Catherine David s ́est longuement entretenu avec le philosophe à Paris. L ́interview intitulé “The Dark Spot of Art” figure dans le catalogue et a eu un impact considérable sur le concept de Documenta10 de la “Kuratorin”. La peinture a donc été spectaculairement moins représentée que dans les Documentas précédents. On en soupçonnera la raison en se rappelant le desaveu/mésestime de Virilio pour la peinture, exprimé au fil de l ́interview, et sa critique de l ́incapacité des arts plastiques conventionnels à explorer “das Hier und Jetzt” - l ́ “ici et maintenant” - “The Dark Spot of Art“: bref, les phénomènes sociétaux de la contemporanéité, selon Virilio.

 ”The Speed is the Message” est le mot de passe de la pensée de Virilio, ironise Dr Alexander Grau, critique des médias.. Dans le rapport accélération- espace, les distances se dissolvent, le monde se délocalise en un point de concentration, tout est à portée de main… Les technologies de communication ont définitivement supprimé l ́espace en faveur du temps. Les médias modernes créent l ́instantanéité, l ́ubiquité, le temps réel, l ́immédiateté, … La dernière victime de l’accélération infinie est le temps, qui se dissout en tant que facteur structurel de la chronologie … Les seuls instigateurs/embrayeurs valables, qui selon Virilio/David appréhendent ces phénomènes de notre temps sont les conceptuels. Et ils ont eu la part belle dans la présentation/conception de Documenta 10. Pour la première fois l’Internet a été présenté comme un nouveau moyen d’expression artistique. La photographie et l ́art-vidéo ont eu leur heure de gloire et ont été sur-représentés par rapport aux médiums/supports conventionnels.
Mais la grande originalité du Documenta 10 de Catherine David a toutefois été de mettre l ́accent sur des problèmes politiques et sociétaux, et de revendiquer, enfin, pour la première fois, une approche mondialiste de la plus importante manifestation d ́art contemporain de la planète. Cette approche inédite a ouvert la voie à la nette volonté d ́internationalisation du concept de Documenta11 de Okwui Enwezor en 2002.
Si Virilio a joué en coulisse, pour ainsi dire, un rôle prépondérant dans l  ́appréciation spéculative de l ́art d ́une décennie, d ́autres philosophes, et ils sont nombreux, ne sont pas indifférents à la médiatisation outrancière de l ́art contemporain et de la nébuleuse au service de sa promotion. Ils égrènent parfois au gré de leurs publications des prises de positions qui font mouche dans le miroir aux alouettes de la pseudo critique d ́art des luxueux catalogues sponsorisés…
Michel Onfray tire à boulets rouges sur la faillite des discours d ́approche. Il fustige les travers de cette forme de critique à la mode/carte qui consiste à citer à tort et à travers les grandes références/les grands penseurs pour brasser du vent tout comme les agitateurs déclencheurs de leur discours emphatique à défaut d ́analyse critique. Le lieu officiel d ́exposition d ́art contemporain sert trop souvent à jouir du spectacle des névroses et des psychoses de notre civilisation, pense Onfray. Et “pour dissimuler l ́évidente brutalité de ces symptômes, le discours théorique sur l ́art recourt à l ́argument d ́autorité et à la citation intimidante afin d ́envelopper le symptôme dans un discours. Pour ce faire, un lot de philosophes ou penseurs estampillés par le milieu sert à légitimer l ́indigence du propos intellectuel, voire l ́inexistence du contenu de l ́oeuvre.”…et coup de griffe à ses pairs de la french theory, …avec un Allemand en prime : “N ́importe quelle nullité plastique devient digne d ́intérêt si on la justifie par une citation de Deleuze, une phrase de Guattari, une référence à Baudrillard, un rappel à Virilio ou , aujourd ́hui, un détour par Sloterdijk.” L ́état des lieux que fait Onfray de l ́art contemporain dans la quatrième partie de “La Puissance D ́exister” qu ́il intitule”Une esthétique cynique“ ne laisse donc aucun doute sur son positionnement par rapport à Virilio. Rejoint-il pour autant le camp des réactionnaires?

La critique de l ́art à Maurice aborde-t-elle le débat opposant l  ́argumentation jugée réactionnaire (de la fraction traditionaliste axée sur les acquis de l ́art moderne) au discours de l ́innovation créatrice/destructrice (art contemporain/conceptualisme/extension de la notion de l ́art)? L  ́internationalisation du débat de l ́art est-elle abordée comme point de repère probable? La participation de Maurice à des Expositions internationales : Dakar, Johannesburg, New Delhi, Venise nous confrontant à la pluralité et à la proximité des visions du monde outre-insulaires encourage-t-elle la critique à appréhender la création locale par rapport à la mondialisation du paradigme de l ́art contemporain?
Visite d´atelier - 2012/13. ©

Serge Gerard Selvon - 09:50:52 | Ajouter un commentaire