SERGE GÉRARD SELVON
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17.12.2017

LES AIGUILLEURS DE L ́ART CONTEMPORAIN

Commissaire/Conservateur/Curator/Kurator/Curateur
         1. Passion; 2. An eye of discernment; 3. An empty vessel; 4. 
         An ability to be uncertain; 5. Belief in the necessity
         of art and artists; 6. A medium - bringing a passionate and 
         informed understanding of works of art to an audience in
         ways that will stimulate, inspire, question; 7. Making possible
         the altering of perception.
         Nick Waterlow. „A curator`s Last Will and Testament“ - 2009

    L ́Australien Nick Waterlow, commissaire/curator/directeur de plusieurs Biennales de Sydney notait sur son ordi, peu avant sa mort, les sept points qui constituent selon lui les principes de base d ́un „contemporary curatorial Thinking“, qu ́on pourrait traduire par la nécessité éthique d ́un ensemble de consignes à appliquer pour atteindre l ́objectif de ce nouveau corps de métier surgi du diable Vauvert dans les années 90, nommé „curator“*1par les anglo-saxons, “Kurator“ par les Allemands; dénomination que les francophones adoptent de plus en plus au lieu de “commissaire“. La précision sémantique de la définition anglo-saxonne par rapport aux fonctions de l ́emploi et de l ́évolution de la muséographie contemporaine axée de plus en plus sur l ́organisation et l ́animation socioculturelle justifie sans doute l ́appellation consensuelle de la nouvelle corporation. Quoique, entretemps le terme branché se vide de son sens par l ́emploi excessif, à tort et à travers, dans des contextes les plus invraisemblables…  
    Ainsi, le code déontologique du “Curatorship“ imaginé par Waterlow n ́est pas dénué de pertinence, eu égard à la fulgurante „starification“ d ́une génération de „curators“/curateurs qui, en ce début de siècle, s ́engage fiévreusement à bousculer les vieilles habitudes et à revisiter/revitaliser/regénérer fondamentalement nos rapports avec l ́art.
    L ́art perçu dans la logique consumériste du capitalisme, donc tributaire des lois du marché, n ́est plus objet symbolique, pseudo-sacré, statufiant prestige et appartenance à l  ́élite. Il est, depuis l ́avènement du post-moderne, produit de l ́industrie culturelle et outil conceptuel au service des commissaires-vedette pour véhiculer les grandes idées du siècle.
    En créant des méga-événements, les stars de la corporation génèrent un sensationnalisme et un culte de la personnalité qui, parfois, éclipsent de loin la renommée des artistes qu  ́ils sont censés promouvoir, et se mettent du coup sur le même pied d ́égalité qu ́eux. Bruce Altshuler*2 constate que “the rise of the curator as a creator“ dans les années 60 a profondément changé notre perception des expositions-spectacle. Johannes Cladders*3,“Kurator“ attitré de l ́oeuvre de Joseph Beuys, affirme en 1999 dans le livre d ́entretiens de Hans Ulrich Obrist*4, qu ́il se considère co-producteur de l ́oeuvre d ́art en vertu de son rôle de médiateur dans le processus qui transforme l  ́anonyme produit d ́atelier en oeuvre d ́art dans l ́espace public agencé par le “curateur“. Le médium de communication soustrayant ainsi plus d ́importance que son contenu, comme l  ́énonçait déjà Marshall McLuhan dans sa formule “Le message, c ́est le médium“. On se souvient davantage du charisme et de la prestance médiatique de Okuwi Enwezor*5 que de la pléiade de plasticiens non-occidentaux qu ́il a imposé dans son Documenta 11*6 de 2002. J ́ai rarement loupé un Documenta, et pour des raisons évidentes j ́avais prévu pour la 11ème édition un plus long séjour à Kassel que pour les précédents Documentas, car la thématisation annoncée de la “périphérie“ avec des intervenants non-occidentaux dans le débat de l ́art mondial était inédit.
    Le décryptage de „l ́art contemporain“*7 est à peine concevable sans les interventions spectaculaires orchestrées par ces médiateurs/animateurs/promoteurs dont la raison d ́être statutaire en constante mutation échappe à la définition. “Toute personne qui veut observer et décrypter le monde de l ́art doit se munir d ́un guide sémantique“, prévient Aude de Kerros*8, “car la révolution de ́l ́art contemporain` n ́est pas une révolution des formes mais une subversion conceptuelle“. Et la grande prêtresse de la dissidence propose un glossaire de termes anti-piège pour circuler dans le labyrinthe que les curators/curateurs s ́ingénient à mettre en scène.
    Si certains de ces catalyseurs de l ́art du 21ème siècle, qu ́ils soient adeptes de la subversion conceptuelle, partisans de la dissidence ou défenseurs d ́un oecuménisme consensuel, proviennent de professions d ́art préexistantes : conservateurs de musée (Johannes Cladders, Franz Meyer…) , marchand d ́art (Seth Siegelaub), critique (Lucy Lippard) ou plasticien (Rirkrit Tiravanija, Maurizio Cattelan…) la visibilité du statut de commissaire/curator est un phénomène récent, et le métier se métamorphose, par une logique inexorable, en agent déterminant de l ́évolution de l ́art. L ́école du Louvre a beau être une école théorique et pratique de muséographie et une pépinière de directeurs de musées, secondée par la prolifération de curatorial studies, de formations spécialisées, dites “curatoriales“, proposées depuis une décennie par moult universités de par le monde, il n ́en reste pas moins que les curators les plus inspirés et les plus inventifs des dernières décennies ont souvent été des néophytes, qui, possédant une très grande culture doublée d ́une versatilité par rapport au Zeitgeist, ont tout appris sur le tas, et ont inventé de nombreux procédés désormais standard.
    Ces visionnaires sont réunis dans deux livres d ́entretiens parus récemment. “A Brief History of Curating“ du Suisse Hans Ulrich Obrist (lui-même curator de renommée internationale) est un recueil de 11 interviews qui préfigure “The Archeology of Things to Come“ selon le commentaire prémonitoire de son préfacier Daniel Birnbaum. “On Curating ; interviews with ten international curators“ de Carolee Thea, préfacé par Obrist, rassemble une dizaine de curators d ́obédience mondialiste, une nouvelle génération qui outrepasse la prédominance culturelle des métropoles occidentales de l ́art moderne du 20ème siècle et qui entre de plain-pied dans ce que Glissant appelle la “mondialité“.
Du recueil de Hans Ulrich Obrist, “A Brief History of Curating“, je retiens surtout Pontus Hultén et Harald Szeeman, deux curators de génie, pour avoir été moi-même témoin enthousiaste et observateur critique de leur mémorables prestations. Ils sont auteurs d ́innovations qui entrent désormais dans la mémoire collective de générations d ́artistes, de critiques et d ́amateurs d ́art.
    Le suédois Hultén, directeur du centre Pompidou à sa fondation en 1977, a été pour moi une révélation autant pour sa conception révolutionnaire du show/spectacle/événement/expo que pour l ́interdisciplinarité qui serviront dorénavant de prototype sinon de référence incontournable. On accourait en pèlerinage à chaque fois à Paris pour voir“PARIS- BERLIN“,“PARIS-MOSCOU“,“PARIS-NEW-YORK“,“PARIS-PA- RIS“, expo-spectacles dont on voulait avoir la primeur avant que les expositions itinérantes ne fassent station à Düsseldorf ou à Berlin. Et le catalogue - concept/lexique/documentaire, genre inédit, devint vite un must, un support didactique inépuisable pour la connaissance de l ́art récent. On s ́enorgueillissait d ́en posséder à chaque fois un exemplaire de la première édition…
    Le charismatique Harald Szeeman, figure majeure de l ́histoire de l ́art contemporain, se définissait lui-même comme “Ausstellungsmacher“, faiseur d ́expo. Il se considérait davantage comme un magicien/chaman/conjureur que comme un“curator“ car il s ́avouait volontairement factotum cumulant les charges d ́archiviste, de conservateur, de marchand d  ́art, d ́agent de presse, de comptable, et de complice des artistes.
    À la première question de Nathalie Heinich dans un petit livre d ́entretiens*9:“Quand vous devez indiquer votre profession, qu ́est-ce que vous dites?“ la réponse de Szeeman est un condensé du personnage: “ - je dis: c ́est l ́Agence pour le travail spirituel au service d ́une possible visualisation d ́un musée des obsessions. Parce qu ́un musée des obsessions, on ne peux pas le faire, c ́est un musée dans la tête…Donc tout ce que je fais, ce sont des rapprochements par rapport à une chose qu ́on ne peux pas faire…“
    J ́ai eu le privilège d ́étudier de près plusieurs de ses exercices de haute voltige intellectuelle en Allemagne, ces expo-spectacles dont il avait le secret et que des épigones, toujours à l ́affût, ont vite fait d ́intérioriser. Sa vision innovatrice de la discipline curatoriale a fait école. Son coup de maitre a été :“When Attitudes Become Form: Live in Your Head“*, couramment associé à la montée en puissance de l ́art conceptuel en Europe et dans le monde. Sa version du Documenta en 1972 consacrera des artistes comme Richard Serra, Bruce Nauman, Rebecca Horn et inclura pour la première fois, conjointement aux médiums traditionnels, des installations, des performances, des Happenings et des Events qui dureront 100 jours comme l`“Office for Direct Democracy“ de Joseph Beuys.
    Si la compilation de Obrist se concentrait sur le discours de ces pionniers de la corporation, ceux qui ont inventé les codes qui nous sont désormais familiers, Carolee Thea de son côté rassemble une brochette d ́influents curators de la scène internationale du moment, des activistes qui semblent posséder une prescience de l ́avenir, des visionnaires qui détermineront la nouvelle donne par des approches inédites et déclineront les paradoxes d ́une conception universelle de la modernité (concept social sans cesse changeant nous rappelle Attali) et d ́un art contemporain devenu phénomène social et outil de communication… S ́agirait-il d ́une modernité, qui,- comme le présage J. Attali10 - “sur la majeure partie de la planète, pour la plupart des hommes,(…) s ́identifie , et s ́identifiera de plus en plus, à l ́occidentalisation“ ? Ou s ́agira-t-il plutôt d ́une modernité multipolaire qui s ́affranchis de la bi- polarité européo-américaine?
    L ́universalité conjecturale des valeurs occidentales engendre-t-elle in fine l ́hégémonie d ́une culture et d ́un art eurocentriques malgré les crispations et les turbulences socio-culturelles qui semblent conforter la thèse d ́affrontement de civilisations-monolithes de Huntington? L ́occidentalisation est-elle une fatalité? ou un facteur de déstabilisation? L`art contemporain en tant que symptôme hypothétique de la mondialisation fait-elle table rase des spécificités culturelles du monde non-occidental? La fin du 20ème n ́a-t-il pas été marquée par la quête d ́un centre du monde de l ́art? - oscillant entre Paris et New-York? -, et le 21ème siècle ne s ́ouvre-t-il pas à une polyphonie de centres?…toutes les mégapoles de la planète entrant dans la danse.
    Le choix des interlocuteurs de Carolee Thea semble converger dans le sens de ces interrogations. Les dix participants du dialogue: Mary Jane Jacob, Mas- similiano Gioni, Roselee Goldberg, Okwui Enwezor, Charles Esche, Carolyn Christov-Bakargiev, Rirkrit Tiravanija, Joseph Backstein, Pi Li, Virginia Perez-Ratton, dont le parcours professionnel très cosmopolite, iconoclaste, visionnaire et innovateur de chacun est disponible par simple clic sur n ́importe quel moteur de recherche, confirme la multivalence des discours et l ́inexorable décentralisation des visions du monde.
    Le curator/curateur du 21ème siècle sera-t-il ce catalyseur, ce pont entre le local et le global, comme semble le conjurer Obrist dans sa préface du recueil d ́interviews de Carolee Thea? “Comment concilier le particulier et l ́universel? Quelle place occupe l ́altérité dans un monde où le modèle occidental de l ́individuation, avec ses libertés comme avec ses limites, reste encore le référent universel, la norme absolue?“ s ́interroge Aliocha Wald Lasowski*11. Le danger de l ́homogénéisation des différences culturelles, de l ́uniformisation, de la standardisation galopante de nos attitudes culturelles est-il évitable?
    Et notre petit univers insulaire en vase clos participe-t-il à ce dialogue mondial? Avons-nous les outils/acteurs/ agitateurs/compétences/infrastructures nécessaires pour avoir voix au chapitre? Et pourtant, nos particularités identitaires définies par les péripéties de l ́histoire coloniale ( explicitées en sciences humaines par l ́acculturation, et par l ́application ad nauseam de déterminants réducteurs - transculturel, pluri-culturel, multiculturel, inter-culturel, etc. - pour cerner des phénomènes en constante mutation) en résonance avec le processus interactif de la mondialisation, nous prédestinent à un rôle de choix dans le dialogue des cultures. La complexité et l ́originalité de ces mêmes particularités identitaires ne devraient-elles pas fournir à l ́inventivité de potentiels curators du terroir ou de la diaspora tout un répertoire de dispositifs conceptuels inédits susceptibles de jeter les jalons d  ́un art contemporain décentré?

*1) Nathalie Heinich relève l ́emploi du terme „curateur“ (entre parenthèses et en italique dans le texte) dans le discours d ́un critique d ́art. “Le paradigme de l ́art contemporain“ - Nathalie Heinich - sciences humaines - nrf-Editions Gallimard
*2) Bruce Altshuler - The Avant-Garde in Exhibition : New Art in the 20th Century, Harry N Abrams, New York 1994,p. 236

*3) Johannes Cladders - Directeur du Städtisches Museum Abteiberg à Mönchengladbach de 1967 - 1985…Commissaire du Documenta 5 à Kassel. De 1982 à 1984 commissaire du Pavillon Allemand à la Biennale de Venise. Il est surtout connu pour le rayonnement international de l ́oeuvre de Joseph Beuys …
*4) Hans Ulrich Obrist - A Brief History of Curating - JRP / RINGIER &LES PRESSES DU RÉEL
*5) Okuwi Enwezor…Enwezor was ranked 42 in ArtReview’s guide to the 100 most powerful figures in contemporary art: Power 100, 2010.
Directeur du Haus der Kunst (Musée d ́Art Contemporain) de Munich depuis octobre. 2011. Domicilié à New York après des études en sciences politiques, Il a d ́emblée commencé à s ́intéresser au phénomène de l ́art, et, dans la foulée des „postcolonial studies“. Il n ́a cessé depuis de contester la fixation du monde de l ́art international sur l ́occident et la culture euro-américaine.
*6) Documenta , la plus grande manifestation d ́art contemporain de la planète, a toujours été un champ d ́action privilégié pour les stars curator/commissaire.
*7) Distinction entre“ art contemporain“: désignation chronologique et“art contemporain“ :
démarche conceptuelle post moderne… „L ́art contemporain“ a un contenu théorique particulier qui le situe en rupture…avec l ́“art moderne“ en refusant la démarche esthétique pour adopter la démarche conceptuelle…) Aude de Kerros .L ́art caché, pos 285
*8) Aude de Kerros - „L ́art caché , les dissidents de l ́art contemporain“. EYROLLES, 2007- Avant-propos, pos.196
*9) Heinich - “Harald Szeeman - Un cas Singulier“ - L ́Échoppe
*10) Jacques Attali - “Histoire de la Modernité“ - “Comment l ́humanité pense son avenir“- Robert Laffont, 2013
*11) Aliocha Wald Lasowski - “Edouard Glissant, Penseur des Archipels“-ebook-position 589von8950)

Visite d´atelier.©
Serge Gérard Selvon Düsseldorf 30.05.2015

Serge Gerard Selvon - 08:24:25 @ KUNST/ ART | Ajouter un commentaire

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