SERGE GÉRARD SELVON
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14.12.2017

Interculturalité - Créolie - Indianocéanisme - Coolitude

Interculturalité - Créolie - Indianocéanisme - Coolitude

                          All good people agree 
                          And all good people say
                          That all nice people like us are we,
                          And everyone else is they,
                          But if you cross over the sea,
                          Instead over the way,
                          You may end by (think of it) looking on We
                          As only a sort of they.
                          Rudyard Kipling
                                 
  
              L´univers post-colonial des Caraïbes a certes engendré des concepts innovateurs inspirant des attitudes transculturelles dans la pratique de l´art contemporain. l´océan Indien, espace de circulation, de rencontres et d´échanges, quoique “espace sans supranationalité ni territorialisation précise“, et aussi théâtre de turbulences historico-politiques de l´ère coloniale, n´a pas été en reste dans la conceptualisation de “Weltanschauungen“, de visions du monde inédites, dans le sillage de la philosophie des archipels de Glissant…  
             L ´indianocéanisme, figure de proue de la nouvelle prise de conscience de l´unité historique et culturelle de l´océan Indien, est d´abord une idéologie identitaire mascarine, mais aspirant dans la foulée à un humanisme à vocation universelle. Conçue dans la tourmente  géopolitique préfigurant/accompagnant la vague des décolonisations (1960/70), à un tournant historique où l´hétérogénéité de la configuration des îles de l´océan indien   devenait l´objectif/point de départ d´une lutte d´intérêts où s´entrecroisaient des manoeuvres habiles de puissances étrangères manipulant les composantes auchipéliques comme des pions sur d´obscurs échiquiers, l´indianocéanisme, concept échafaudé par Camille de Rauville, constituait une première tentative de rallier les iles disparates sous la bannière d´appartenances  conjecturales. L´indianocéanie de Camille de Rauville est au départ le territoire d´un imaginaire francophone et recouvre les archipels des Mascareignes, des Seychelles, des Comores ainsi que la grande île de Madagascar et détermine d´emblée les premiers contours d´une représentation mentale de la complexité de l´aire culturelle des Mascareignes enchâssée dans le pourtour d´un océan Indien imprégné d´autres civilisations : africaines, arabes, indienne, indonésienne… Le néologisme/mot-valise, anglicisme larvé (indian-ocean-ism), désigne à la fois un territoire/une convergence (flux migratoire), un regroupement de données anthropologiques, un dispositif classificatoire et une démarche comparatiste. L´originalité de la notion n´est entachée que par l´accent soutenu porté sur la culture  (occidentale) dominante, donnant ainsi des assises à une dichotomie maintenant les prérogatives de l´héritage colonial d´un côté, tout en dissimulant les relents d´un néo-impérialisme culturel de l´autre; pérennisant ainsi les rapports de force du système colonial. À rebours de la critique des sources occidentales du savoir et de l´histoire qui accompagnait la décolonisation, et l´avènement des Postcolonial Studies une décennie plus tard(70-80), le regard colonial et paternaliste de l´indianocéanisme (axé sur les degrés d´“interculturalité“ des littératures francophones de l´Océan Indien) a comme un arrière-goût réactionnaire. Néanmoins le concept fit flores dans le milieu intellectuel du contexte transitoire des années 60/70 à Maurice.      
                  En tant que regroupement de faits empiriquement repérables, la dimension heuristique de l´approche fédérait les courants de pensées du débat géopolitique de cette époque et le terme mua conséquemment en concept entrant en relation, d´abord, avec celui de “créolie“ initié par le poète réunionnais Jean Albany, et ensuite avec la notion un tantinet hype/cool/irrespectueuse de “coolitude“ - calque sans équivoque de “Négritude“ -  conceptualisée par Khal Torabully. “Amarres“*, manifeste identitaire (réunionnais) de fraiche date, précisera les contours d´une indianocéanité contemporaine s´affranchissant des démagogies ethnoculturelles qui habituellement, du moins dans les Mascareignes, occultent/parasitent le paradigme multiculturel. “L´interculturel ou la guerre“ de notre compatriote Issa Asgarally,  (ultimatum/sommation/slogan coup de poing qu´on imaginerait bien se propager graphiquement dans le paysage urbain de l´ile comme le “el socialismo o la muerte“  sur les murs de la Havane*), avertissement fatidique, tel le “Menetekel“ biblique, et sanctifié par une préface de J.M.G. Le Clézio, prix Nobel, nous rappelle la fragilité de notre multiculturalisme de façade. Cet essai alarmiste démystifie le trompe-l´oeil idyllique de l´entente multiculturelle paradisiaque véhiculée par la publicité touristique … 

             Le concept de créolie, en accordance avec la démographie socio-ethnique de l´ile soeur et la dialectique républicaine française est communément jugé incompatible avec la classification multiculturelle de Maurice et son acception exclusivement ethnique du terme “créole“. Une des raisons déterminantes de cette incompatibilité ne serait-il pas le brouillage sémantique que suscite instinctivement le signifiant créolie (terme propre à véhiculer à Maurice un sens fâcheusement assimilable/identifiable à la mixité biologique et à son cortège de fantasmes), et le signifié (le concept culturel:“créolie“) considéré ainsi impropre à l´ utilisation pratique ? Or, le concept indianocéanisme (dans son exclusion/omission explicite de l´africanité/créolité) n´est-il pas à postériori contestable pour à peu près le même raisonnement? 
.         L´indianocéanisme, par ailleurs, ne fait-il pas abstraction de la violence fondatrice que créolie et coolitude évoquent implicitement? Les deux derniers concepts, contrairement au premier, n´escamotent pas le “létan margoze” des plantations esclavagistes, ce socle mémoriel de notre édifice identitaire. L´indianocéanisme rauvillienne n´est-il pas en fin de compte une apologie larvée de la domination et une hypocrite affirmation de la mission civilisatrice de la colonisation? bref, un statu quo ante, une effraction de l´impérialisme culturel par la porte de service? Jean-Georges Prosper (dans son texte : “Le créole indianocéaniste : un humanisme planétaire“) ne fait-il pas fausse route en élevant le concept à l´idéal d´une “culture globale humaniste“, lui reconnaissant hâtivement  une légitimation universaliste?
           Cette envolée utopique de postmodernité complaisante de Prosper, hélas, passe outre à la complexité des mutations identitaires qui s´opèrent à l´échelle mondiale et dont on est témoin aujourd´hui; et ne tient pas compte “ le fait que la mondialisation techno-économique ait pour envers et conséquence la balkanisation politico-culturelle de la planète“50, comme le constate  Régis Debray . Le nomadisme intellectuel de la post-modernité, boosté par les technologies de communications et les médias modernes et la grosse artillerie de l´industrie culturelle américaine , a beau accélérer l´universel métissage des patrimoines psychiques et culturels, il n´en reste pas moins vrai que cette fatidique mondialisation est aussi perçue comme une machine à broyer les cultures et provoque les affrontements civilisationnels qui déterminent désormais le Zeitgeist de ce début de siècle. 
            Le phénomène de crispations d´identités culturelles se propageant sournoisement sur la planète comme une trainée de poudre est pourtant abondamment analysé et commenté depuis les dernières décennies. Suscitant un regain d´intérêt depuis les attentats du 11 septembre, l´essai prémonitoire de Benjamin Barber, “Jihad vs. McWorld“, publié en 1996, naguère jugé outrancier, anime désormais la controverse, tout comme “Le Choc des Civilisations“ de Samuel Huntington publié la même année. Si le premier emploie le concept McWorld pour symboliser l´inquiétant expansionnisme culturel des USA (Microsoft, McDonalds, Nike, Coca-Cola, Hollywood, Internet, american-way-of-life…) que le fondamentalisme réactionnaire du Djihadisme perçoit comme agression spirituelle et morale, bref un casus belli, le second défend la thèse d´un monde divisé en grands bassins de civilisation cloisonnés à l´intérieur de religions ancestrales prêts à en découdre avec toute avancée/menace du matérialisme laïciste de la mondialisation triomphante. 
           Pour peu qu´on la présente sous un certain angle, mettant en relief sa caractéristique multiculturelle, notre société mauricienne n´illustre-t-elle pas, en modèle réduit  (format bonsaï pour ainsi dire) la configuration simpliste des monolithes civilisationnels du schème tant décrié de Huntington? Cette circonstance n´a pourtant jamais été associée à l´imminence irrationnelle d´un choc.  La cohabitation forcée dans l´exiguïté et la précarité existentielle des plantations, et le huis-clos insulaire de territoires épars n´ont-ils pas au fil des années engendré des compétences transculturelles? des aptitudes à gérer l´altérité et à respecter la différence? des stratégies de vivre-ensemble? N´a-t-on pas vite assimilé la réalité d´autrui en apprenant à traverser expertement dans les deux sens les frontières culturelles.  On ne s´est pas exterminé mutuellement? Il semblerait que la proximité physique propre au milieu archipélique amortit/neutralise l´hypothétique choc des civilisations/cultures. Même si les passagères flambées d´affrontements inter-ethniques de l´histoire récente soient hélas des preuves tangibles de la fragilité de nos prédispositions transculturelles péniblement  acquises et cultivées pendant la longue expérience de vivre-ensemble depuis ce “létan margoze“…(Prédispositions transculturelles que nos ethno-démagogues,hélas, démontent honteusement pour propager le communautarisme - abusant ainsi l´ethnicité comme construction instrumentale mortifère au service d´intérêts politiques ) 
          Nos plasticiens ont-ils conscience de ce précieux patrimoine immatériel: la résilience (trans)culturelle, cette longue expérience de comportement adaptative historique éminemment utile comme approche conceptuelle pour appréhender les interactions culturelles de la mondialisation galopante? N´est-ce pas là une aubaine pour articuler une contemporanéité originale? Pourquoi chercher ailleurs quand on a à portée de main les moyens de décliner son positionnement face à l´ethnocentrisme ambiant par rapport à l´etnorelativisme de la mondialisation? L´intentionalité intime de tout plasticien n´est-il pas d´abord d´articuler une image de soi aspirant à l´équilibre entre son identité culturelle, nationale et globale et ses engagements personnels?
             “Carrefour de civilisations“, „mosaïque de cultures“, “nations arc-en-ciel“ ,“culture patchwork“, “costume de Harlequin“ ; toutes ces épithètes métaphoriques plus ou moins kitsch qui tentent de mettre notre expérience culturelle sous cloche ne documentent-elles pas une désuète imagerie d´Épinal à déconstruire et à problématiser sur le plan esthétique. Nos plasticiens contemporains font-ils l´effort de sortir de ce vieillot cadre de référence pour être  enfin sujet/agent de la contemporanéité, et non spectateur passif.  
Visite d´atelier - 2012/13. ©

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Serge Gerard Selvon - 16:51:04 | Ajouter un commentaire

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